25 Août 2014

Comment trouver le meilleur site d’atterrissage pour Philae ? - Partie 2

Les équipes du SONC (au CNES de Toulouse) sont fortement impliquées dans l’étape cruciale de la mission Rosetta : le largage et l’atterrissage de Philae. Elles doivent tenir compte de toutes les observations déjà réalisées par les instruments de la sonde et des calculs qui indiquent la masse du noyau de 67P.
25 août 2014

En chute libre

Le jour venu, Rosetta va se présenter devant le noyau, côté Soleil, et larguer l’atterrisseur Philae de telle sorte que sa vitesse relative sera diminuée par rapport à l’orbiteur et qu’il tombera vers la surface. Il n’y a aucun système de contrôle de descente sur Philae ; une fois largué, le module sera sur une trajectoire de rencontre avec la surface et, dans la plupart des trajectoires étudiées, c’est la rotation de la comète sur elle-même qui l’amènera au contact.

« Dans ce type de trajectoire, c’est un peu comme si Philae était une balle de tennis qui tombe et que la surface du noyau était une raquette qui venait à sa rencontre », précise Thierry Ceolin, l’un des ingénieurs en mécanique spatiale qui travaillent au SONC (au CNES de Toulouse).

Dans tous les cas, le but est de synchroniser parfaitement la séquence pour que Philae touche la surface à une vitesse relative lui permettant de ne pas s’écraser, soit entre 2 et 5,5 km/h (0,55 m/s et 1,5 m/s) pour satisfaire les contraintes mécaniques liées à la construction de Philae.

Jets et gravité

Mais ce n’est pas tout ! Si des jets de gaz intenses se développent d’ici à l’automne, ils pourraient ralentir la chute de Philae et décaler la zone d’atterrissage ; les observations des instruments de Rosetta capables de mesurer la pression et la densité des gaz qui environnent le noyau (MIRO, VIRTIS, ROSINA et ALICE) seront donc indispensables pour élaborer le modèle de dégazage qui sert à la séquence finale de largage.

Il faut rappeler enfin que la force d’attraction du noyau est tellement faible – 1/100 000e de l’attraction à la surface de la Terre – que le risque de rebond n’est pas négligeable. Les 3 « jambes » de Philae vont donc amortir l’impact, 3 grandes vis intégrées dans les pieds vont se cheviller dans le sol et un petit propulseur à gaz va se déclencher sur la partie supérieure de l’atterrisseur pour le plaquer à la surface pendant qu’un double harponnage l’ancrera solidement, si la nature du sol le permet.

10 milliards de tonnes

L’équipe de mécanique spatiale du SONC est en charge du calcul de la meilleure trajectoire de largage. Elle est constituée de 6 ingénieurs qui travaillent depuis des années sur la mission et qui ont calculé des milliards de trajectoires possibles pour atteindre la surface, mais cela restait théorique tant que la masse et la forme du noyau n’étaient pas connues. Il n’y a donc que quelques semaines à peine que les calculs tiennent compte de la forme réelle du noyau et quelques jours seulement qu’ils intègrent une valeur suffisamment précise de sa masse. Pour évaluer celle-ci, les scientifiques étudient le signal radio émis par Rosetta.

Lorsqu’elle se déplace dans l’espace en ne subissant que l’influence de la pression de radiation du Soleil sur les panneaux solaires, la sonde a une vitesse parfaitement connue. En passant à proximité de la comète, 2 éléments peuvent également modifier très légèrement cette vitesse : la force d’attraction du noyau et la pression des éventuels jets de gaz et de poussière sur les panneaux solaires. En étudiant le signal radio, il est possible de déceler ces infimes variations et de faire une estimation de la masse du corps qui les provoque ; plus Rosetta passe près du noyau, plus son attraction se manifeste et plus la précision de la mesure croît si l’on parvient à quantifier correctement la force des jets.

Pour l’heure, les scientifiques ont scruté à la loupe les données recueillies entre le 6 et le 9 août, lorsque Rosetta circulait à près de 100 km du noyau, et leur nouvelle estimation de sa masse est de 1 x 1013 kg, soit près de 10 milliards de tonnes, à 10 % près. C’est près de 3 fois plus que la masse estimée mi-juillet (3,4 x 1012 kg) et la précision va être améliorée. « À terme, lorsque Rosetta circulera à moins d’une dizaine de km du noyau, la masse devrait être connue à 0,1 % », précise Romain Garmier, ingénieur en mécanique spatial au SONC, qui a déjà travaillé par le passé sur les missions NEAR-Shoemaker (NASA) et Mars Express (ESA).

Une ellipse de 500 m

Dans un monde parfait, le noyau serait une sphère homogène sans aucun défaut de surface et y déposer un module serait l’enfance de l’art pour un navigateur spatial. Mais le noyau de Rosetta n’est pas sphérique et lisse, il est bilobé et les images de la caméra OSIRIS-NAC ne cessent de révéler des détails de plus en plus précis de sa géographie chaotique.

En tenant compte de toutes les incertitudes sur la trajectoire de Rosetta au moment du largage, la zone d’atterrissage possible de Philae est une ellipse de près de 500 m de longueur dans le sens du déplacement et de 250 m de largeur. Il s’agit d’une estimation bien sûr et l’amélioration de la connaissance des caractéristiques physiques du noyau va sûrement permettre de réduire cette ellipse au fil des prochaines semaines, mais cela révèle la difficulté de la manœuvre, surtout lorsque l’on regarde le noyau qui, avec ses 5,4 km d’envergure, n’est pas très grand. Trouver sur l’un des lobes une zone d’atterrissage offrant des conditions favorables sur plusieurs centaines de mètres est donc un sacré défi !

Partie 3 : La recherche des sites

Rosetta est une mission de l’ESA avec des contributions de ses États membres et de la NASA. Philae, l’atterrisseur de Rosetta, est fourni par un consortium dirigé par le DLR, le MPS, le CNES et l'ASI. Rosetta sera la première mission dans l'histoire à se mettre en orbite autour d’une comète, à l’escorter autour du Soleil, et à déployer un atterrisseur à sa surface.